Aujourd’hui, pendant mon remplacement, j’ai eu deux consultations bien connues de nous autres, médecins généralistes. Je vous les fais courte.
La première :
-Bonjour Docteur, ça va être très rapide
(déjà c’est le moment où on s’inquiète parce que c’est rarement vrai)
-Ah bon, je vous écoute
-Je viens vous voir car mon ostéopathe m’a dit de venir vous voir pour que vous me fassiez une ordonnance pour aller chez le kiné
(je vous avais dit qu’il fallait s’inquiéter)
-Ah tiens, et pourquoi donc ?
-Et bien j’ai mal à l’épaule depuis quelques mois, et elle pense que le kiné pourrait me faire du bien.
Mon sang n’a fait qu’un tour.
Et je lui ai dit, très gentiment :
« Elle a sans doute raison, mais sachez que ce n’est pas dans cet ordre que doivent se passer les choses. Vous devriez venir chez le médecin généraliste d’abord, qui établit le diagnostic, et vous adresse, après, chez l’ostéopathe ou chez le kiné, ou les deux, ou aucun. Mais nous ne sommes pas le secrétariat des ostéopathes, ni des kinés. Nous n’avons pas la même formation, et ce n’est pas leur rôle de faire le diagnostic initial. »
Bref, la pauvre patiente était de bonne foi, gentille comme tout, et je lui ai fait une ordonnance pour aller chez le kiné car en effet, cela me paraissait, après examen clinique, pertinent.
La deuxième :
Bonjour Docteur je viens vous voir, car la semaine dernière je suis tombé de mon escabeau sur le coude. Il y avait un hématome, et du coup je suis allé voir mon ostéopathe-énergéticienne. Elle m’a fait un massage, et m’a dit que si c’était toujours douloureux dans une semaine, il fallait que j’aille consulter mon médecin généraliste. Et là, j’ai toujours mal et quand j’appuie sur mon coude, ça me fait comme une décharge électrique.
Après examen clinique, je l’ai bien évidemment envoyé faire une radiographie en urgence. J’admets penser qu’il n’y a probablement pas de fracture, mais, à l’inverse de l’ostéopathe-énergéticienne qui a du assister à des cours de confiance en soi, je suis incapable, moi, malgré ma blouse, de l’affirmer.
Ces deux anecdotes bien trop classiques m’ont beaucoup fait cogiter.
Je me suis dit que nous étions littéralement en train de perdre le contrôle. Non pas que le contrôle soit une jouissance en soi, mais il apparait que notre système de santé se base avec confiance sur les médecins généralistes et sur leur formation, basée sur la science et la preuve, pour prendre en charge la population.
Sans doute du fait de la difficulté d’accès aux soins de plus en plus prégnante, surtout en ruralité, et de la multiplication des professions paramédicales et des médecines dites « parallèles », et par là j’entends les ostéopathes, chiropracteurs, sophrologues, naturopathes, énergéticiens et autres fantaisies, il y a de véritables circuits de prise en charge parallèles qui se créent à notre insu totale.
A l’heure où les thèses complotistes les plus farfelues pullulent sur les réseaux sociaux, à l’heure où les français sont de plus en plus défiants envers l’ordre établi, qu’il soit politique, médical, social, et bien mises en relief par cette satanée épidémie de COVID, je commence à être sérieusement inquiet de l’avenir de notre métier.
Pourquoi, dans ce pays, les gens pensent de plus en plus à l’ostéopathe avant de penser au médecin traitant ?
Je me dis que peut-être les ostéopathes et autres médecines parallèles ont un temps de consultation plus long, et que les gens s’y sentent plus écoutés, ont plus de réponses simples (et souvent fausses #bassindécalé, #vertèbredéplacée #omoplatecollée) à des problématiques complexes, et y trouvent finalement plus leur compte que dans une science rigide, imparfaite, et souvent décevante dans la qualité de ses réponses sur toutes ces problématiques ostéo-articulaires qui aboutissent rarement à des diagnostics certains.
Franchement, j’aimerai bien avoir vos avis sur ça…!
Bonjour
Vétérinaire et par ailleurs formée en ostéopathie (de la musculo-squelettique à l’énergétique) , je suis convaincue que cette formation supplémentaire (de presque 3 ans) m’ a apportée énormément pour l’examen clinique palpatoire, qu’il soit viscéral ou de tout autre organe. La perception de restrictions au niveau ostéopathique permet d’orienter le diagnostic (imagerie médicale exclue ou non) et du coup le traitement (medical, chirurigical et/ou osteo). La formation de médecine occidentale classique n’apprend pas à « écouter les tissus » et ds certains cas, le médecin (ou le véto) passera complètement à côté de la problématique du malade… Petit exemple bénin vécu: entorse avec subluxation metacarpo-phalangienne du pouce- examen du medecin du service de traumato et radio-> RAS alors que l’articulation était en complète restriction avec douleur aigue, disparue immédiatement après une bonne manip ostéo 2h après… Autre exemple plus flagrant: paresthésie neuro doigts I-II-III de la main-> Syndrome canal carpien diagnostiqué par EMG/neuro qui a finalement été résolu par un TT ostéo, en particulier au niveau des cervicales C5-C6
En tant que véto, je suis ma meilleure prescriptrice en ostéo et mon examen (affiné) m’oriente aussi parfois plus clairement vers un diagnostic cancero ou autre. Les médecines « alternatives » méritent d’être reconnues comme complémentaires. Aux praticiens d’apprendre à connaître et reconnaître leurs indications, aux autres intervenants de bien connaître aussi leurs limites…
Vous vous posez les bonnes questions sauf celle de l’argent.
Votre consultation pas trop chère sera remboursée ( Sécu + Mutuelle), voire il n’y aura aucune manipulation monétaire avec le tiers payant. Votre service est gratuit, donc de qualité douteuse.
L’osto-sophro-naturo-chiro-etc.. n’a pas cet avantage. Sa consultation est plus chère que la vôtre en général (certes il peut y passer plus de temps) et surtout elle va être déboursée par le patient. Elle en a ainsi d’autant plus de valeur et en définitive on en espère un résultat plus satisfaisant.
Je sais c’est simpliste mais c’est la règle d’évaluation des services et des biens. Le plus cher est inconsciemment dans notre esprit le meilleur.
pv03
a propos d’ostéopathe:
récemment une ostéopathe du coin est venu me consulter pour la réalisation d’une échographie de son épaule car suite a un « vague » traumatisme ( datant de plus d’un mois) elle avait toujours mal!
fidèle a mes principes je refusais de faire une écho sans radio préalable …et je dus négocier … devant mon inflexibilité elle me laissa faire, a contre coeur , en soupirant devant autant de stupidité de ma part, deux clichés …
résultats: arrachement du tubercule majeur de l’humerus …
no comment!
Bonjour,
En effet, grande lassitude devant ces constats de demandes parfois difficiles à comprendre. Ce qui est sûr, c’est que ne sommes pas « tout puissant », et que d’autres peuvent avoir un avis sur un même sujet (le patient). L’Ideal étant de pouvoir communiquer avec les intéressés( mais le MG a t-il assez de temps?). Autre fait, le patient est souvent, et malgré lui, clivant. Une façon de faire, et je la pratique de plus en plus, est de travailler sur l’égo. celui-ci se nourrit essentiellement de l’insatisfaction ressentie dans une situation désagréable. En laissant de coté l’insatisfaction face au patient en demande « décalée », le simple fait de se recentrer sur sa compétence de médecin suffit à valoriser la démarche. dans le cas décrit,le retard au diagnostic induit est insupportable. Mais il est également du fait du patient, et non du votre. Comment influencer le choix de la personne d’aller voir des ostéopathes, qui sommes toutes, font environ sept années d’études, et sont souvent d’une efficacité redoutable, en complément de notre médecine allopathique. Pour info, j’ai fait les deux. Il faut choisir ses combats. En valorisant , et parfois en se forçant à valoriser, un patient qui fait une démarche de soin, finalement, on fait plus pour notre médecine en leur montrant une ouverture d’esprit qu’ils pensaient peut-être que nous n’avions pas. Et le choix d’aller voir un osteo en premier lieu tient aussi peut-être au fait que pour eux, le médecin n’est pas accessible à leur besoin. Et nous savons que nous le sommes. Je vous rejoins dans la lassitude naissante, et après plusieurs années à penser que le soin est une solution royale, j’ai opté pour une médecine préventive et d’accompagnement différente, envers des patients dont les demandes les prédisposent peut-être à plus d’écoute, quoique. L’essentiel est d’être et rester l’interlocuteur privilégié que nous sommes, en France, et de par le monde, médecin à l’écoute. Qu’en pensez-vous?
Cordialement
Monsieur bonjour, je me présente, je suis ostéopathe et kiné, je suis votre blog quelques temps maintenant, et en voyant votre question : « Pourquoi, dans ce pays, les gens pensent de plus en plus à l’ostéopathe avant de penser au médecin traitant ? » , je me propose d’essayer de vous apporter quelques éléments de réponse au travers de ma pratique personnelle.
Je tiens tout d’abord à préciser que mes propos n’engage que moi et que je ne généralise ABSOLUMENT pas ma situation et mon ressenti par rapport à tous les autres professionnel de santé. Enfin, je suis au courant de ce climat de guéguerre entre l’ostéopathie et la médecine, donc dans tout ce que je vais vous dire , svp , n’y voyez aucunes provocations ni propos diffamatoires.
Ces précautions oratoires prises, je vais tenter de vous exposer mes éléments de réponse, qui selon moi, me semble pertinent.
Les cas cliniques que vous citez me sont extrêmement familiers pour ne pas dire quotidien. Oui, effectivement, il y a des osteos qui recommandent des examens au travers de vos consultation..Effectivement, c est critiquable.Chacun son métier et surtout chacun ses compétences.
Seulement, je pense que nous avons affaire depuis pas mal de temps, à une évolution de la qualité et de la raréfaction de la profession de médecin. Consultant de premier ordre aussi, l’ostéopathe se retrouve alors confronté souvent en première ligne de la première prise en charge du patient.
Également, le changement de l’implication du médecin G d’avant (j’ai 40ans) a totalement modifié le rapport entre le patient et son médecin. En effet, moi j’ai connu mon médecin traitant qui se déplaçait chez nous (en campagne ) pour de la bobologie etc.ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.Oui, Il y a le monde qui a changé depuis (évolution de la formation du médecin, crise et contexte économique, évolution des mœurs etc.), j en suis tout à fait conscient mais seulement je pense qu’en 2 générations, il y a eu une perte de confiance de ce qu’a pu être le médecin G d’autrefois.
Vous ne me contredirez pas si je vous disais qu’il est inconcevable pour vous de faire une consultation d’une heure par patient ;et vous auriez raison ! Pour un simple nez qui coule, pas besoin d’autant de temps ! Seulement, face à la multiplication des consultations express (quelques minutes parfois), les patients se sont sentis abandonnés ou mal écoutés. Surement à tort ! car comme dans l’exemple précédant, il n’y avait guère besoin de plus de temps, mais trop tard cette mauvaise image s’est installé. Mais c’est bien de cela que les patients sont en recherche : qu’on prenne le temps de les écouter. Toujours pareil, leurs exigences sont bien souvent disproportionnées, nous sommes d’accord !
Encore une fois, c est un constat que je fais, il s’agit bien là d’une caractéristique de notre époque : les gens s’écoutent un peu trop et sont dans la demande d’aide trop fréquente. Nous avons oublié que la douleur était inhérente et normale à notre condition d’humain. Je reçois souvent des patients qui, comme vous dites, tombent d’un escabeau et se plaignent d’avoir mal qq jours après ! Les patient ne veulent plus avoir mal,ils pensent qu’on peut (la médecine, l’osteo, l’ésoterisme etc.) les aider à ne plus ressentir de la douleur. Il est devenu inacceptable de souffrir ou d’attendre ; alors que c’est une caractéristique de l’être humain..Cela je le déplore tout comme vous.
Ensuite, je pense qu’il y a aussi l’image fantasque de l’osteo véhiculé à tort..il y a des énergumènes, effectivement qui font « craquer à tout va», cela peut être spectaculaire pour le patient et donc cela intrigue. Mais il y a aussi des mauvais médecins, c’est statistique..Pour ma part, je fais des manipulations osteo articulaires, du contracté relaché,de la mobilisation passive-active, de l’accupression,des massages parfois etc. Bref rien de spectaculaire et surtout rien de dangereux.
Par contre j’ai des très bons retours, pourquoi ? Parce que sans le vouloir je réponds aux cahiers des charges de leurs demandes (écoute, temps de consultations important, disponibilité)…mais je ne fais pas de médecine, ça, effectivement, c est votre travail et je vous le laisse (avec tout le respect et l’admiration que cela implique).
Et en cela que je trouve ces gueguerres dommage. Moi je réponds à un besoin de la part d’un patient et j’essaye de faire au mieux, j’ai redirigé un nombre de fois incalculables des patients car leur état nécessitait d’être dans vos cabinets. Nous avons appris à déceler tous les drapeaux rouges et je pense qu’il vaut mieux un excès de prudence qu’un excès de confiance pour soigner. C’est en cela que les tensions entre nos métiers sont contreproductives. Et cela est fort dommage, car nous pourrions travailler de pair dans l’intérêt du patient. Je peux vous assurer que dans ma formation de 5ans (cours dispensés par des médecins ou chirurgiens,et non pas des vaudous ou autre trucs exotiques), on nous a martelé les limites de notre capacité à prendre en charge un patient, savoir déceler ce qui sort de notre champ de compétence etc. Donc la question de compétition ne se pose même pas !Bien au contraire , pour moi la kiné,l’osteo sont tout simplement le service après vente de la médecine. Vous diagnostiquez, vous écartez les situations à risques et nous nous occupons de leur « bien être » et de leur récupération. Voilà ma vision d’une collaboration efficiente !
En espérant vous avoir apporté quelques éléments de réflexion bienveillante, sans violence.
Bien respectueusement, un ostéopathe.