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Partir à l’aventure

On dit que les études de médecine sont longues. Et c’est vrai que, bon dieu, c’est long. C’est tellement long qu’on finit par en oublier l’idée d’une fin. On enchaine les années, les partiels, les stages, tel un automate, jusqu’à ce qu’un jour on s’entende dire, au détour d’un couloir, entre deux boxes d’urgence : et tu vas faire quoi après ? Après quoi ? Bah après l’internat. Tu vas faire quoi ?

Bon dieu, c’est vrai. C’est vrai que j’ai bientôt terminé. Dans quelques semaines, on ne me dira plus « Tu vas là, tu fais ci, tu fais ça. » Prendre ses propres décisions. Faire ses propres choix. Des choix engageants. Sentir l’angoisse du mauvais choix pour l’indécis. La délivrance du choix bien muri pour l’autre.

Prendre la responsabilité des conséquences des choix de sa propre vie peut parfois paralyser.

C’est sans doute un des problèmes des études de médecine. Les étudiants sont fixés sur un rail pendant six ans, jusqu’à arriver à la station de tri glaciale et sans concession de l’ECN. Moment de panique pour beaucoup. Tempête sous un crâne, choix cornélien, insomnies, sueurs nocturnes. Puis l’heure du choix. Tachycardie inéluctable. Tout cela pour être sur un nouveau rail pendant 3, 4, 5 ou 6 ans.

Une fois lancés sur ce deuxième rail, ceux qui ont fait le choix de la spécialité rebondiront de service en service, trouvant facilement ici ou là des postes hospitaliers ou des installations libérales juteuses. Non pas qu’ils soient nécessairement tous heureux et épanouis, mais j’ai le sentiment que les choix sont plus aisés. Plus naturels.

Pour la médecine générale, beaucoup n’ont pas le choix, et s’y rabattent à défaut d’aller nulle part – ce qui contribue à alimenter un cercle vicieux de dépréciation toxique pour tout le monde – mais c’est un autre sujet. Les autres, qui ont fait ce choix prodigieux envers et contre tout, ont probablement ça dans le sang, ce qui atténue surement l’angoisse du vide.

Mais du jour où l’on est diplômé, le cocon étanche et protecteur de l’institution s’effrite brutalement. On peut ainsi se retrouver seul, en errance totale, sans inquiéter personne. Confortablement vautrés dans l’opulence de la demande médicale, le choix de l’installation paralyse. C’est là le grand paradoxe. Trouver du travail n’a jamais été aussi facile, nous sommes clairement une génération bénie des dieux. Cette manne issue des choix politiques irrationnels passés nous fait poser des questions que nos aînés ne se sont jamais posés : Mais où diable vais-je aller faire trainer mon stéthoscope ? Pour certains, c’est une évidence. Pour d’autres, l’errance commence.

Cette liberté chérie et tant défendue serait-elle en passe de devenir une contrainte psychologique ? Tenir un tel propos risquerait de donner du grain à moudre à ceux qui pensent que la contrainte, justement, serait le meilleur moyen de régler définitivement la question de la densité médicale inégale. Danger imminent.

De mon côté, je ne déroge pas à la règle. M’installer me parait prématuré, trop engageant, trop risqué.

S’installer en campagne est la garantie que la Mairie organise un feu d’artifice pour célébrer cette installation tombée du ciel. Si personne n’est contre un feu d’artifice en son honneur, la responsabilité éthique implicite d’une patientèle que l’on ne peut pas abandonner du jour au lendemain pèse dans la balance de l’installation. Bref, avant de s’engager, mieux vaut être sûr de soi. Et des certitudes, je n’en ai guère.

Après l’internat, je me retrouve libre pour la première fois depuis l’âge de mes trois ans – si tant est que l’on puisse parler de liberté, compte-tenu de mon incapacité, à cet âge, de prendre des décisions pertinentes -. Mais après vingt-six ans de contrainte scolaire et universitaire, je suis enfin libre. Libre de tout faire, y compris rien. C’est tout de même inouï, quand on y pense.

Cette liberté, j’ai décidé de la saisir pleinement. Le statut de médecin remplaçant est idéal, et permet toute forme de mobilité. Tant mieux, car la liberté sans mouvement serait comme une cage sans grillage.

Partant de ce constat, et considérant que j’étais finalement le seul obstacle éventuel à ce mouvement, j’ai décidé d’élaborer un projet de « Tour de France des Remplacements ».

Prendre un temps suspendu. Construire un projet singulier. Partir pour cinq mois. Dans dix départements. Proposer des remplacements de quinze jours, temps suffisamment court pour ne pas végéter, et suffisamment long pour prendre le pouls du territoire.

Rencontrer des habitants, des patients et des confrères.

Elargir ma perception. Sortir de ma zone de confort.

Le rêve non ?

Martial Jardel

Martial Jardel

4 Commentaires

  1. AMI Médecin,
    A 60 ans , je cherche encore à ne pas trop sortir de ma zone de confort. J y fais plutôt entrer des îlots d aventure. Il ne se passe pas une semaine sans guilis dans le ventre avant telles ou telles consultations,visite,réunion….tiens je reçois même mon premier externe dans 8 jours….je ne cherche ni à le dégoûter ni à l attirer…mais à lui faire comprendre que sa vie professionnelle et bien c est ce qu il en fera…..des choix toujours des choix.
    Quant à prendre le pouls d un territoire en quinze jours….bon dieu, que c est cours mais c est mieux que zéro. En 25 ans je n ai toujours pas fait le tour de mon métier. D ailleurs fait on le tour de ce métier?
    Ne vous prenez pas trop le chou..et si votre camping car ( un medico bus?) Passe par chez moi bienvenue pour partager le verre de l amitié.
    Bon vent à vous et belle vie.

  2. Excellente idée de découvrir le territoire médical français. Mais 15 jours c’est un peu juste pour une juste appréciation de la diversité locale. Cette période permettra déjà de constater des organisations très différentes d’un cabinet à l’autre et peut être de favoriser des choix.
    Bonne chance

  3. Bravo pour ce constat….et pour cette décision ,c’est d’après moi le meilleur apprentissage possible ..il faut avoir la liberté et le courage de le faire .personnellement c’était impossible.Encore bravo et bonne chance….

  4. avant de m’installer j’ai remplacé au moins pendant 5 ans toujours les mêmes médecins dans différentes régions (35, 47, 09, 72, 44, 02) et j’avais déjà bien bourlingué puisque études débutées à reims, finies à toulouse et entre temps stage à rennes.
    J’ai été libérale, médecin du travail, salariée en SSR, médecin co et médecin en centre mutualiste.
    Sortir de sa zone de confort permet d’appréhender l’humain dans toute sa dimension.
    Je vous conseille aussi de faire des DIU: j’ai fait nutrition , toxicologie, soins palliatifs et récemment santé environnementale.
    Il ne faut pas se laisser enfermer.
    Et je crois que vous ne le ferez pas .
    C’est un beau métier qui amène à de belles rencontres .
    Bonne chance

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